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Tabac et alcool

Le tabac et l'alcool ont beaucoup de choses en commun : ils procurent tous les deux des sensations extraordinaires, à tel point que - quand on y a goûté - il est difficile de s'en passer ! Tous les deux font l'objet d'une approbation sociale importante, même si celle-ci évolue et si les tranches d'âge qui les supportent ne sont pas les mêmes. Le tabac est surtout "approuvé" auprès des jeunes : à un certain âge, variant selon les milieux, mais toujours dans la tranche 12-18 ans, on est "déviant" si on ne fume pas. À première vue, ce phénomène de "déviance" n'existerait pas ou peu face à la non-consommation d'alcool, mais ce serait une erreur de croire cela, car en réalité, dans nos sociétés occidentales, il est très difficile de vivre socialement si on ne boit pas, ne fut-ce qu'un petit peu. Bref, le tabac et l'alcool se ressemblent beaucoup, et leur plus grande ressemblance est celle-ci, liée aux autres : ce sont tous les deux de véritables fléaux ! Je parle en connaissance de cause : j'y ai goûté avec joie et passion !

J'ai fumé ma première cigarette lorsque j'avais... 10 ans ! Ce ne fut pas une cigarette comme ça en passant, mais plusieurs paquets, étalés sur plusieurs semaines de manière intensive. C'était avec un camarade de classe dont j'ai oublié le prénom, mais qui habitait avenue de la Floride. Un jour de printemps, nous nous retrouvâmes dans un terrain vague, le long du Bosveldweg, près du Clos Dandoy. Il me proposa une Belga : nous finîmes le paquet... Et le lendemain, c'était moi le fournisseur. Faut dire qu'à l'époque, il y avait des paquets de 10 cigarettes !

Après ces débuts précoces, je crois que je n'ai pas arrêté de fumer... mais pas de manière intensive. Je n'avais pas beaucoup d'argent, et j'avoue... que je suivais dans la rue les fumeurs pour terminer leur mégot ! Le seul problème que j'avais était lié au catéchisme : je crois bien que la réponse à la question 7 disait "Dieu sait tout, voit tout, même nos pensées les plus secrètes !". Bref, je fumais en cachette, mais avec cette obsession que Dieu me voyait et savait tout. Je ne sais pas très bien ce que cela changeait, mais c'était quand même gênant.

J'ai commencé à être un fumeur intense vers 15 ans, chez les Pionniers. Voilà bien un milieu de jeunes où l'anormalité est de ne pas fumer. Alors, j'ai fumé. Des Belga, je suis passé aux Bastos, et puis aux Gauloises bleues sans filtre. Parfois aussi des Gitanes, mais il n'y en avait que 20 par paquet au lieu de 25. C'était bien sûr coûteux, et - plus âgé - je suis passé à la pipe, à la suite d'un détour amusant.

À l'université, comme tout le monde fumait, j'ai voulu me démarquer en arrêtant. J'y étais arrivé. Alors, un jour, pour bien montrer que je maîtrisais, je me suis dit : "Pourquoi pas une bonne pipe ?". Ce fut délicieux, et j'ai continué à arrêter... jusqu'au jour où, comme j'avais pu ne pas recommencer à fumer la première fois, je me suis dit : "Et si j'essayais une petite pipe ?". Le temps entre cette deuxième et la troisième pipes fut moins long qu'entre la première et la deuxième, et ainsi de suite. Et de pipe en pipe, je suis revenu à la cigarette... comme tout le monde.

Bien sûr, déjà à l'époque, l'information sur les méfaits du tabac ne manquait pas. Nous étions parfaitement informés... mais que faire d'une telle information quand on est jeune et en pleine forme ? Par contre, ce qui m'ennuyait, c'était le coût du tabac. Surtout lorsque j'ai décidé d'arrêter mes études de droit pour commencer celles d'instituteur : je n'avais plus pour vivre que les allocations familiales que mes parents me refilaient ainsi que mes (maigres) cachets de musicien-accompagnateur de Robert. J'ai donc abandonné la cigarette roulée au bénéfice de la cigarette à rouler. Rouler une cigarette, c'est comme rouler à vélo : ce n'est pas facile à apprendre, mais quand on a appris, ça ne s'oublie pas !

En 1978, je deviens donc instituteur fumeur. Cela m'ennuyait quand même un petit peu, car je me rendais bien compte que moralement, ce n'était pas le meilleur exemple pour ces enfants qui me passionnaient. De plus, j'étais de plus en plus souvent le seul fumeur dans les milieux que je fréquentais... et donc le seul emmerdeur ! Surtout dans les groupes religieux de préparation de messes de jeunes. Je prenais conscience que fumer ennuyait profondément les autres... et cela m'ennuyait profondément.

Bref, l'envie d'arrêter naissait petit à petit, mais comment faire ? Il n'y avait pas de patch à l'époque. J'ai bien essayé l'acuponcture dans les oreilles, mais à part donner pendant quelques temps un goût horrible à mes bonnes petites cigarettes, cela n'a servi à rien. Le matin, "j'oubliais" mon paquet à la maison, espérant tenir toute la journée, mais dès mon arrivée à l'école, je filais chez le libraire, et m'en roulais une bonne !

Ce fut Dieu qui me sauva. À l'époque, j'étais en pleine crise mystique. J'habitais seul et j'avais aménagé en chapelle un coin de mon appartement, au 1618, chaussée de Wavre. Le mardi 6 mars 1979, je suis rentré chez moi un peu avant minuit, après une partie de Whist chez Stephen. Je me suis assis dans mon fauteuil préféré, j'ai roulé une cigarette, je l'ai allumée en me disant : "Cette fois, tu fumes ta dernière cigarette!". Le lendemain, c'était le Mercredi des Cendres, et donc le début du Carême. Je "jeûnais" à ma manière et remettais à Dieu le fait d'arrêter de fumer. Pendant 40 jours, je le remerciai éperdument de me rendre la tâche si facile, d'arrêter de fumer pour moi sans que cela ne me demande aucun effort.

Depuis lors, je n'ai plus jamais aspiré la moindre bouffée... du moins volontairement, parce qu'il faut bien avouer qu'il est parfois difficile de ne pas fumer lorsqu'on se retrouve dans certaines ambiances...

Je n'ai plus fumé, ce qui ne veut pas dire que je n'ai plus eu envie de le faire. Dans ma tête, fumer est toujours resté un plaisir. Particulièrement les cigarettes après le repas, surtout en extérieur. Je sais que je me prive d'un réel plaisir, mais je sais surtout que j'ai pu vaincre un réel fléau. Et être libre, libre de vivre sans combustible.

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Je ne sais plus très bien quand j'ai bu de l'alcool pour la première fois. Mais je devais être très jeune. Et c'est sans doute arrivé à Namur, chez mes grands-parents. Le vin coulait à flots pour les adultes, alors - sans doute pour se donner bonne conscience - les enfants avaient parfois droit à un fond de vin, coupé avec de l'eau. Si "mettre de l'eau dans son vin" est une vertu quand on se situe au plan moral, je crois que c'est un crime quand il s'agit vraiment de vin... mais voilà, c'était la seule manière d'en avoir, de faire "comme les grands" !

Je ne suis pas devenu pour autant un "buveur", mais inévitablement, quand on est jeune, on se trouve dans des moments où la bière et/ou le vin coulent. Et j'aimais bien. Même si j'aimais moins le moment où je me couchais dans mon lit. Lorsque j'avais exagéré, tout se mettait à tourner, que les yeux soient ouverts ou fermés. Et j'ai appris à vidanger le surplus. Cela n'a rien d'agréable, mais c'est efficace. Un autre moyen efficace et plus agréable était le gant de toilette humide posé sur le front. Bref, j'ai quelques fois pris le bateau en mer agitée sans avoir quitté la terre ferme !

Mais avant cette danse perverse, il y a la béatitude. Et parfois des moments amusants. Je me souviens d'une soirée à Gratte où le vin ardéchois coulait parfois d'abondance. Je devais avoir 17 ou 18 ans. Je me souviens très bien avoir cherché mon frère Étienne pendant toute la soirée. Je me souviens vaguement que parfois ma recherche se terminait par une chute non contrôlée. Par contre, ce dont je ne me souviens pas, mais que j'ai appris le lendemain, c'est que c'est au moins par 3 fois que j'ai été demandé à Étienne s'il ne savait pas où il était... Enfin, au moins je ne l'ai pas renié par 3 fois !

Je n'ai jamais été très amateur de bière, mais cela ne veut pas dire que je n'en buvais pas. Vivant en communauté avec Stephen et Caroline au début de nos années d'instituteurs, c'est par paire de bacs que nous achetions nos provisions. Puis, petit à petit, j'ai commencé de plus en plus à apprécier le vin, et à en consommer de plus en plus. Je découvris aussi le whisky... le plus grand fléau parmi les fléaux. Je le remarquai d'ailleurs assez vite, et je décidai sans trop de difficulté de me passer de ce breuvage-là. Au moins celui-là...

J'en parle à l'aise, simplement pour montrer que cela vient comme ça, sans qu'on se rende trop compte de ce que l'on fait. À force de boire, on résiste de mieux en mieux, et on boit de plus en plus. On a bien sûr toujours l'impression qu'on peut arrêter quand on veut. La belle affaire ! J'ai appris avec le temps qu'un gars qui déclare avec un air convaincu qu'il peut s'arrêter quand il veut, eh bien, c'est qu'il ne le peut pas, même s'il le voulait !

Il y a des prises de conscience bien entendu, progressives. L'une d'entre elles eut lieu lors de ma première mission en Mauritanie, en février 1998. J'avais pris l'habitude, lors de mon passage au freetax, d'acheter une bouteille de... whisky ! Bien sûr, j'y étais revenu. Cela me permettait de prendre l'apéritif dans ma chambre avant d'aller manger accompagné d'une bonne bouteille de vin qui terminait la soirée avec moi. J'avoue que, naïf, je n'avais jamais imaginé qu'il puisse être difficile dans un pays de trouver un restaurant proposant du vin. J'avais toujours pensé et constaté que ce qui était difficile, c'était de trouver un resto ne servant pas de vin. Mais voilà, en Mauritanie, c'était l'inverse. Rapidement, je compris que ma bouteille de whisky serait quasiment ma seule source d'alcool pendant le reste de ma mission. Il fallait rationner, et pour ne pas tomber à court, j'ai marqué ma bouteille en divisant son contenu par le nombre de jours. J'ai tenu le coup, sans doute aussi parce que j'ai fini par trouver l'hôtel-restaurant El Amane où des carafons à eau contenaient un breuvage rouge qu'on buvait dans des gobelets métalliques, alors que le coca était bu dans des ballons à vin ! Je suis ensuite allĂ© souvent dans cet hôtel, mais rarement à son restaurant. Parce que le besoin n'était plus là.

J'ai donc fini par arrêter. Certains diront "par hasard". Fin novembre 2000, j'ai eu la "crève". Pas possible de manger ni de boire pendant deux jours. Le vendredi 1er décembre 2000, nous avions un bal Gaïa à La Tentation. J'étais malade, mais je suis quand même allé jouer. Et boire une ou deux bières. Le lendemain, j'étais malade, mais ce n'était plus la crève... Je n'ai pas bu le samedi 2, et le dimanche 3, puisque je n'avais pas bu le samedi 2, je me suis dit : "Autant ne pas boire ce dimanche 3.". Le lundi 4, ce fut le test : j'ai mangé à midi avec Jean-Marc, et j'ai commandé... un jus de tomate ! C'était rouge aussi, et pas mauvais !

Depuis lors et pendant 8 ans, je n'ai plus bu une goutte d'alcool. Je n'ai même pas eu l'envie. Jamais. Pourquoi ? Sans doute parce que j'avais vraiment décidé d'arrêter. Cette décision s'était sans doute imposée à moi, mais elle était prise. Je n'avais pas eu besoin de Dieu pour cela, comme j'en avais eu besoin pour le tabac. Mais en fait, cela revient au même. Simplement, une force plus forte que moi avait pris une décision et il suffisait de s'y tenir. Cette force plus forte que moi n'est bien sûr autre que moi. C'est la force d'être libre, libre de vivre sans être ivre.

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J'ai quitté deux fléaux, mais je suis revenu depuis 2008 à l'alcool, avec parfois des périodes d'abstinence. Autant aujourd'hui, c'est devenu facile socialement de ne pas fumer, autant ce n'est pas facile socialement de ne pas boire. Être invité chez des amis qui sortent leur meilleure bouteille pour vous recevoir, et devoir leur dire : "Non merci, je ne bois pas d'alcool."... c'est quasiment adresser une injure à son hôte. Les gens acceptent, mais au fond d'eux-mêmes, ils ne comprennent pas. Bien sûr, ils savent que l'alcool(isme) est un fléau. Mais quoi de mal à boire un petit verre... C'est vrai, il n'y a pas de mal. J'admire et respecte beaucoup les gens qui savent juste "boire un petit verre"... ou même 2 ou 3, ou plus encore... et qui, le lendemain, ne boivent que de l'eau, avec plaisir. J'aimerais bien être comme eux. Je ne le suis pas. Je n'ai pas de honte à le dire ni à l'écrire. C'est comme ça. Je ne fume plus et c'est très facile. Contrairement à ce que la majorité des gens pense, parmi les deux fléaux, le plus grand fléau est l'alcool, et non pas le tabac. D'autant plus que si un fumeur raccourcit vraisemblablement sa vie, il y a de nombreux buveurs qui, eux, raccourcissent - la plupart du temps brutalement - la vie des autres. Mais voilà, notre société accepte et favorise ces drames. Je me répète : le tabac et - surtout - l'alcool sont des fléaux.

Mon fils Simon a été embarqué sur les chemins du tabac. Il a la volonté d'arrêter... mais il n'a que la volonté, pas encore la décision. En pleine tentative, il a dû réaliser un "dossier poétique" où notamment il devait écrire l'un ou l'autre poème. Avec raison, il a choisi comme thème "le tabac" : comme il l'a écrit, au moins c'était quelque chose qu'il connaissait.

Lui qui n'a jamais rien écrit de sa vie, il a pondu trois poèmes. J'ai bien aimé. J'en reprends un ici. Ce n'est pas sublime, mais je trouve qu'il y a une certaine force poétique dans la chute !

Délicate rupture
de
Simon Gerard


Après un amour de plusieurs années,
il faut réussir à stopper
non sans difficulté…

Comment lui résister
elle qui toujours là,
présente autour de vous,
vous offre des dizaines de moments
de bonheur par jour …

Et du jour au lendemain, vous devez
tout arrêter et chercher ailleurs.
Pourtant, elle ne vous a rien fait.
Elle n'a qu'un seul défaut :
elle n'est qu'une tige de tabac.


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