L’apprentissage et l’évaluation des attitudes et des savoir-être
François-Marie GERARD
La question de l’apprentissage et de l’évaluation des savoir-être est particulièrement complexe, surtout quand on l’aborde dans le cadre de disciplines comme les cours de religion ou de morale non confessionnelle ou quand on se situe dans des systèmes éducatifs dont les finalités sont clairement exprimées en termes d’attitudes (le goût du beau, du risque, de l’excellence, l’esprit d’initiative ou entrepreneurial…) qui se réfèrent elles-mêmes à des valeurs. Si tout le monde sait intuitivement ce qu’est une attitude, au sens courant de conduite que l’on adopte dans des circonstances particulières, il est moins sûr qu’on puisse définir de manière claire tant ce qu’est une attitude que le savoir-être. Si, face à une situation, un individu adopte un certain comportement qui est directement observable, penser en termes d’attitude implique qu’on suppose que le comportement adopté se réfère à une certaine attitude qui déboucherait sur des comportements cohérents dans d’autres situations. Par exemple, si un enfant partage sa collation avec un ami lors de la récréation (=comportement), on dira de lui qu’il est généreux (=attitude) en supposant que, dans d’autres circonstances, il manifestera d’autres comportements qui témoigneront de la même générosité. En 1935, Gordon Willard Allport propose ainsi la définition suivante, acceptée encore aujourd’hui par la plupart des chercheurs : « Une attitude est un état mental et nerveux de préparation (a mental and neural state of readiness), organisé à partir de l’expérience, exerçant une influence directive ou dynamique sur les réponses de l’individu à tous les objets ou situations auxquels il est confronté. » En 1960, Rosenberg et Hovland proposent une définition complémentaire qui s’imposera peu à peu. Pour eux, le concept d’attitude est une construction hypothétique et non une donnée brute observable. C’est un instrument conceptuel intégratif, élaboré à titre d’hypothèse pour rendre compte d’une structure relativement stable chez un individu. Cette structure admet trois composantes fondamentales :
Attitude et savoir-être sont-ils synonymes ? Globalement, oui. Les deux mots appartiennent à des typologies différentes, mais parallèles. Il y a d’une part « Connaissances – Habiletés – Attitudes – Compétences » et d’autre part « Savoirs – Savoir-faire – Savoir-être – Savoir-agir ». La compréhension la plus commune (voir notamment Raynal et Rieunier, 1997, 4e éd. 2003, pp. 327-329) de ces catégories associe le domaine cognitif aux connaissances et savoirs, le domaine psychomoteur aux habiletés et aux savoir-faire et le domaine affectif aux attitudes et aux savoir-être. Les compétences ou savoir-agir intégreraient alors le tout en nécessitant de combiner et de mobiliser des ressources issues des trois domaines. En 1986, De Ketele a proposé – dans son article consacré à l’évaluation du savoir-être – de distinguer les différentes catégories de « savoir » selon qu’elles désignent des activités ou des contenus. Il proposait aussi de distinguer les savoir-faire cognitifs des savoir-faire pratiques (ou gestuels), les savoir-faire ne se limitant donc plus au seul domaine psychomoteur. En prolongement de cette réflexion, Gerard (2000) montre que les trois niveaux d’activités – savoir-reproduire, savoir-faire et savoir-être – peuvent s’appliquer aux trois domaines – cognitif, sensori-psycho-moteur et socio-affectif. Le savoir-être, défini comme « un savoir-faire passé par intériorisation dans l’habituel », peut dès lors être de l’ordre du cognitif (consulter spontanément un dictionnaire en cas de doute orthographique), de l’ordre du sensori-psycho-moteur (descendre rapidement un chemin de montagne) et de l’ordre du socio-affectif (manifester spontanément des marques d’écoute active lors d’un entretien). Perçu de cette manière, les savoir-être sont particulièrement importants, car ils « manifestent ce qu’est fondamentalement la personne, dans toutes ses composantes, dans sa globalité » (Gerard, 2000). Cette approche a l’avantage
Dans toutes les sociétés actuelles, il existe un accord assez général sur la nécessité de développer des savoir-être à l’école. Parfois même, l’attente de la société vis-à-vis de l’école est trop grande à cet égard : l’école devrait pallier toutes les carences familiales ou sociales dans le développement des attitudes et celui-ci devient parfois prioritaire face aux apprentissages scolaires de base. Néanmoins, la problématique des savoir-être pose certaines difficultés en matière d’évaluation. Ces difficultés sont non seulement techniques, mais aussi éthiques. Difficultés méthodologiques
Difficultés éthiques
Sur la base de ces difficultés, il est légitime de se demander si, dans le cadre de l’enseignement, il faut évaluer les savoir-être ou s’il ne faut pas se limiter à créer les conditions de leur émergence. La notion de savoir-être interroge, mais elle semble néanmoins être une entrée fructueuse pour prendre en compte l’étudiant dans sa globalité et changer le regard porté sur lui… pour donner davantage de sens à certains enseignements… Dans cette perspective, il semble dès lors inutile d’évaluer les savoir-être de manière formelle, comme ressources. Il est important que les équipes pédagogiques puissent échanger sur les savoir-être qu’ils souhaitent développer, en mettant l’accent sur les savoir-être qui sont en lien avec des compétences (vérifier un résultat de manière spontanée, adopter un regard critique vis-à-vis d’un support, éviter les contradictions dans un écrit…). Ces savoir-être ne devraient cependant pas être évalués de manière isolée ni même faire l’objet d’apprentissages particuliers. Il suffit de savoir
Si néanmoins il existe au sein d’un système éducatif ou d’une équipe éducative une volonté de formaliser le développement de certains savoir-être et de les évaluer de manière spécifique, il importe – pour garantir la qualité de la prise en compte des savoir-être – de veiller au respect de quelques pistes :
Ces pistes sont possibles à mettre en œuvre, mais elles n’éliminent pas les difficultés tant techniques qu’éthiques de l’évaluation des savoir-être. C’est pourquoi on privilégiera l’utilisation des savoir-être en termes de critères, dans l’évaluation de n’importe quelle production complexe liée à la mise en œuvre d’une compétence. Un exemple simple est le critère de « Qualité de la présentation » qui est souvent utilisé, surtout à l’école primaire, comme critère de perfectionnement dans l’évaluation de compétences disciplinaires. Le fait de présenter une copie propre, exempte de ratures, avec une écriture lisible… témoigne en effet de savoir-être comme le respect de l’autre, l’exigence de propreté… D’autres critères peuvent également relever, en tout ou en partie, de savoir-être socio-affectifs : l’utilité sociale de la production, la capacité de travailler en groupe, l’ouverture vers d’autres pensées… Références et bibliographieALLPORT, G.W. (1935). Attitudes, in C. MURCHISON (Ed). A Handbook of Social Psychology (pp. 798-844). Worchester, MA: Clark University Press.
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