Mon
livre ne devrait pas exister. Son existence n'est que l'aveu de ma faiblesse,
de l'incapacité fondamentale du poète de dire ce qu'il
a à dire.
Je
voudrais me taire. Il y a le langage. Il y a le monde. Il y a moi.
Je pose ma vie sur le monde, et le monde me le rejette toujours. J'écoute
le monde, et je l'écoute tel. Je veux le remplir, le combler
des images mythiques de ma vision.
Toujours
déjà, le monde s'efface dans son apparition. Il jaillit
de son oubli par tant de dissonances que le mot - qui m'est cher -
ne signifie plus rien, alors même qu'il donne sens. Sens étroit
et contingent, aussi creux qu'une timbale débordante du grondement
funèbre.
Sens.
Sens du langage. Sens du monde. Sens du moi. Et tandis que j'ouvre
le sens, le trop plein se déverse pour jaillir en source tarie.
Le poète, orgueil de son sens, cherche le chemin qui le conduit
au comblement de son vide d'individu. Il ne trouve jamais que des
mots, signes de leur résonance. Et lorsque le mot résonne,
l'homme raisonne.
Il
ne reste que bourdonnement, gémissement, grincement, clabaudage,
charivari. J'écoute le mot. Il se perd. Il devient sens, quand
il ne l'est plus. Il finit par nommer, désigner. Il dit "il".
Personnification du sens. Celui-ci est nommé, par le mot. Adjonction
de la signification et de la nomination, du "sens" et du
"il". Il sens. Désignation de la signification par
la nomination, de la nomination par la signification. Il désigne
sens. Il est sens.
La
signification naturalise la nomination. Il essence. De par ma recherche
de signification, l'essence de cette signification ne peut être.
Je dois la réduire. Je romps l'essence. Car le mot est rupture
de la forme. Es-sence. Mais le mot n'est pas. Il signifie, il nomme.
Le mot retrouve l'adjonction de la signification et de la nomination.
Il sens. Pénétration de la signification par la nomination,
de la nomination par la signification. S-il-ens.
Silence.
Le comblement ne peut s'atteindre qu'en le libérant de toute
contingence sens-uelle et mot-rale. Là se trouve l'absolu de
sens, toujours déjà silence.
Mon
livre ne devrait pas exister. Son existence n'est que l'aveu de ma faiblesse,
de l'incapacité fondamentale du poète de se taire pour
dire ce qu'il a à dire.